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“Par les villages” : Sébastien Kheroufi signe un spectacle en forme de cri poétique

Hélène Kuttner 16 décembre 2024
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Hayet Darwich & Reda Kateb dans "Par les villages" © Christophe Raynaud de Lage

Dans la salle de spectacle du Centre Pompidou, avant d’être présentée au Théâtre des Quartiers d’Ivry, la pièce de Peter Handke brûle d’une actualité nouvelle, celle des cités de banlieue, dans la mise en scène saisissante de Sébastien Kheroufi. Anne Alvaro, Casey, Reda Kateb et Amine Adjina interprètent les rôles principaux de cette épopée chorale au milieu de cinquante acteurs. La poésie de Handke flamboie avec une cruelle fureur. 

“Malheur à toi si tu oses exprimer qui nous sommes”

© Christophe Raynaud de Lage

Ainsi s’exprime Hans, l’ouvrier et frère de Gregor, l’aîné écrivain, celui qui est parti en ville, qui a quitté sa famille, ses amis d’enfance et son milieu. Gregor, qu’interprète Reda Kateb, silhouette fragile et longiligne, vêtu d’un imperméable noir bien taillé, lunettes cerclées d’intellectuel, revient voir son frère et sa soeur. Son impuissance à agir sur la tragédie de ces situations misérables, qui n’ont pas évolué depuis des décennies, passe d’abord par des mots qui dessinent la culpabilité et le pardon. Mais entre eux et lui, les travailleurs du béton, les ouvriers caristes et l’intellectuel, Peter Handke ne dresse pas des barrières. C’est la langue, vibrante, poétique et enflammée de l’auteur qui tisse une toile réconciliatrice. C’est elle qui égalise les hommes et les femmes, et dans cette magnifique pièce, l’ouvrier et la caissière de supermarché parlent la même langue que l’intellectuel. Dialogues, monologues, chansons, poésie égrainent une musicalité fraternelle, parfois violente, toujours passionnelle.

Des villages aux cités

© Christophe Raynaud de Lage

Sébastien Kheroufi a grandi entre les quartiers populaires de Hauts-de-Seine et les foyers parisiens Emmaüs. Transporté par le lyrisme social et politique de la pièce, il la transpose de la campagne d’Europe centrale des années 1960 aux cités qui entourent les capitales françaises aujourd’hui. L’espace scénique est un ilot de béton, occupé par une maison en forme de cube transparent, empli de lits superposés et de sacs blancs pleins de sable. C’est un espace abandonné, comme ses habitants. C’est un ilot de solitude et de résignation que chantent les jeunes ouvriers et les femmes au sourire fatigué. D’emblée, on y cause arabe et français. Amine Adjina campe Hans, l’ouvrier héroïque, empereur de la misère et du courage. L’acteur prend le texte à bras le corps, le roule dans le goudron et le fait flamber dans la lumière. Son frère Gregor reste dans l’ombre, à observer ce cratère d’humanité où chacun prend la parole juste, quelque soit son rang, en la brandissant fièrement.

L’astre Anne Alvaro

© Christophe Raynaud de Lage

Au milieu d’une foule de figurants qui sont les vrais habitants des cités, la comédienne Anne Alvaro apparaît, parmi les arbres d’un cimetière dont elle dessine le cercle solaire. Prêtresse brune aux yeux noirs brûlants, sorcière de tragédie shakespearienne, Cassandre inspirée, la comédienne accomplit le prodige d’une incarnation puissante et simple, celle d’une tragédie lumineuse qui dit le sort des humains. A la fin du spectacle, la rappeuse Casey (Nova) formidable conteuse à l’énergie volcanique, au souffle impressionnant, abat nos sentiments de désespérance et d’effroi dans un monologue à la puissance nietzschéenne. Saisissons-nous de nous-mêmes, habitons nos corps et nos esprits, marchons lentement et respirons très fort ! Cette poésie vitaliste réveillerait les morts, la musique déploie ses basses progressivement jusqu’à envahir l’espace. Comme la renaissance d’une humanité. Une réussite. 

Hélène Kuttner

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